Sierra Maestra

J’en ai assez des villes, et du voyage « facile », je suis en manque d’aventures. Je quitte Baracoa, que j’ai cependant beaucoup apprécié. Je veux me rendre dans la Sierra Maestra, bastion de la Révolution cubaine, d’où émerge le plus haut sommet cubain, le pico Turquino. Un bus Viazul (incontournable bus pour touristes) m’amène à Santiago. De là, j’attends avec les cubains qu’un transport quelconque arrive. Ils ne savent pas quand il y en aura ni même s’il y en aura, on est dimanche, rien n’est moins sûr. Un camion arrive, il s’arrête un peu plus loin dans un crissement de pneu. 2 hommes courent à sa suite, et montent dans la benne. 2-3 autres se mettent à courir, le rejoignant au moment où il redémarre. Nouvel arrêt. Sur le bord de la route où une quarantaine de personnes attendent, tout le monde est sur le qui-vive. Hésitation générale, et tout le monde se met à courir, je les imite, n’ayant pourtant aucune idée d’où ils vont. Au moment de monter, alors que le camion démarre déjà, je demande au jeune homme qui me précède, oui, le camion va dans la bonne direction. Nous sommes donc une quarantaine debout dans la benne, nous accrochant comme nous pouvons. Voilà l’un des transports locaux. Mais peu de temps après, le chauffeur refuse d’aller plus loin, il n’a pas assez d’essence d’après ce que je comprends. Nouvel arrêt au bord de la route, face à la prison du coin, avec mes nouveaux amis rasta pieds nus qui n’arrêtent pas de parler et de boire du rhum. Ils me parlent de la nature, de la liberté qu’ils ressentent ici. Nouvelle ruade vers un « bus », une benne de camion couverte cette fois, équipée de bancs dans la longueur, dans laquelle peuvent s’empiler un paquet de gens.

là, il s’est déjà bien vidé :
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Les 70 kilomètres sont interminables, coincée entre un réré et un gros cubain par 40°C. Je m’aperçois bientôt que ça sent le chocolat, et ça ne peut provenir que d’un endroit… mon sac, où j’ai totalement oublié les barres de chocolat qui se sont répandues en chocolat chaud sur tout le dessus du sac par cette chaleur.

Chivirico, je descends, grande plage ombragée, petit village, une casa particular au bord de l’eau, c’est parfait.

Sous le grand arbre, au milieu, c’est la terrasse de la casa, on n’est pas bien ici?!
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Je sens que je vais m’y plaire.
C’est sans compter sur les hommes cubains, que je supporte décidément de moins en moins. Le soir, je finis par m’enfuir dans ma chambre pour être tranquille et ne plus être importunée par les jiniteros ou autres hommes particulièrement collants. Dommage, j’avais résisté à l’assaut de moustiques du coucher de soleil.

La plage principale est propice à slacker, et je trouve une petite crique reculée sans personne, plage privée d’un hôtel sans client.

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De là, je décide de rejoindre le début de la rando à pied… Ce n’est qu’à 40km à vol d’oiseau… 2 jours je me dis. C’est sans compter le sac et le soleil. Oui c’est ça pour moi le voyage en solitaire, je décide de faire des choses à la fois stupides et géniales comme ça.

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J’hésite à dormir en camping sauvage, dans un endroit bien caché, mais je n’ai pas confiance dans les hommes ici, je saute dans l’unique bus-camion de la journée pour rejoindre le camping le plus cher et le plus nul de mon voyage. Cela n’a d’ailleurs rien d’un camping puisque les tentes y sont interdites, je la porte ainsi pour rien. Heureusement je joue de mes charmes (non, en fait, j’attire juste la pitié je crois avec mon gros sac) et j’arrive à me faire offrir les restes du repas, pas question de payer 15€ de plus pour un plat quelconque ! L’intérêt du site? une plage où il est dangereux de se baigner, et une lagune d’eau douce remplie de larves de moustiques. Le rêve ! Dans les chambres, les moustiques sont les seigneurs des lieux, et j’hésite à monter ma tente sur mon lit… Vous l’aurez compris, ce n’est pas la meilleure nuit que j’ai passé. Réveil matinal, la route est longue jusqu’au départ de la rando !
Lorsque le soleil est à son zénith, je m’arrête, sors mon hamac et somnole sur une belle plage. A ce rythme, je ne suis pas prête d’arriver.

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Voilà des jours que j’ai envie d’écrire, j’ai allumé mon ordinateur à maintes reprises mais suis restée bloquée de longues minutes face à une page blanche. On dit qu’il suffit de commencer et que l’inspiration vient en écrivant. Alors j’ai commencé, plusieurs fois, à écrire des banalités, sur moi, sur Cuba, sur ce qui m’entourait. Les phrases étaient vides, la formulation creuse. J’essayais aussi sur papier, même déception. Alors, frustrée, je me remettais à lire, ou à contempler mon environnement. Aujourd’hui, c’est différent, j’ai repris la marche, pour peu de temps, une marche peu intéressante, dont il n’y a quasiment rien à dire si ce n’est un soleil accablant, une température excessive, et une route sans fin, sans beaucoup d’intérêt, jouxtant la mer, la sentant, l’entendant, mais sans vraiment la voir. Seules les chèvres semblent poursuivre leur errance sous ce soleil implacable, et 2-3 fois par heure un véhicule : camion, charrette, mule, « bus ». La marche agit comme un exhausteur de sensations, mais surtout comme un catalyseur, catalyseur de pensées, catalyseur d’endorphines, catalyseur d’inspiration.

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Cuba, une terre qui ne cesse de me surprendre, en bien comme en mal, au détour des chemins, au détour des rencontres. Aujourd’hui, j’ai rencontré Gabriel, garçon de 12 ans, qui vit reculé, avec sa famille, à l’ombre d’une crique, devant une plage sauvage, battue par les vagues et le vent. Une plage sur laquelle il ne fait pas bon se baigner alors que le courant emporte au loin les imprudents baigneurs ou plongeurs, le père de Gabriel s’est ainsi fait emporter une fois. Il me raconte des tranches de vie, s’intéresse à ma liseuse, à mon appareil photo. Il s’émerveille, il rêve de voyage et de partir s’installer loin, loin de cette île qu’il n’aime déjà plus. Il veut être mécanicien, et fuir sa condition. Il me parle des prostitués et des jiniteros, ces hommes à l’affut du moindre touriste, pour leur soutirer quelques CUC, par des combines diverses ou la prostitution. Ils sont partout, nous les croisons dans la rue, dans les bars. Il est difficile de leur « échapper ».
Il me demande comment c’est la France, difficile de répondre à cette question… A la télé, il ne voit que les côtés négatifs, propagande ou réalité des nouvelles toujours plus lugubres ? Malgré ça, s’il en avait la possibilité, il souhaiterait y vivre.

Les vieilles voitures américaines, les gros frigo-armoires, les bâtiments coloniaux défraichis, autant de symboles d’une époque faste aujourd’hui révolue.

[Une fois lancée à écrire, je m’arrête pourtant, il est tard, je suis fatiguée… Ecrire, c’est difficile, il faut réunir tant d’éléments pour produire un texte bien écrit et intéressant.]

Me voici à Las Cuevas, au départ de la rando pour le Pico Turquino. Je discute longuement avec le responsable des guides du coin. On ne peut en aucun cas se promener seul, et les prix sont fixes, impossibles à négocier. Les tarifs sont prohibitifs, pour une rando sans aucune difficulté technique, avec un chemin unique, dont j’ai en plus la trace GPS. J’hésite, je lui dit ok, puis non, puis je ne sais pas… Nous nous quittons sur un non, je ne veux pas payer autant pour une rando. Et puis dans la soirée, je reviens sur ma décision, je suis arrivée jusque ici, et ce sommet de l’ile m’appelle. J’ai envie de traverser cette chaine impénétrable d’où partit la Révolution, et qui abrita le QG du Che. La rando se fait normalement en 3 jours, mais c’est encore plus cher, je décide de la faire en 2. Au programme du 1er jour : monter au sommet, et redescendre au refuge de l’autre côté. Le 2ème : descente côté Nord. Rien de plus simple. Rendez-vous 4h30 pour marcher à la fraiche. Il fait encore nuit, j’ai les yeux qui collent, et au point de rendez-vous, il n’y a personne. J’attends. Je finis par m’allonger par terre, un oeil sur le ciel qui s’éclaire lentement, et qui finit par se refermer totalement. 1h30 plus tard, le guide est là, nous pouvons partir. Ca commence mal, je suis d’humeur exécrable, mon sac est lourd, je paie trop cher ce service pour que le guide soit autant en retard ! En plus, je ne pense pas être capable de faire ce qui est au programme : 2200m de dénivelé positif sur 13km avec un sac quasi-complet bien lourd. Je pense secrètement que nous nous arrêterons au campement avant le sommet, même s’il semble impossible de s’y arrêter car il n’y a pas de quoi cuisiner.
Dans ma tête, je me fixe des objectifs pour les pauses, le sentier est raide, c’est dur. A la 1ère pause, une espèce de crampe/courbature de fesses m’assaille, je ne peux plus bouger. Rien à faire, malgré les étirements entre les cochons et les poulets, ça ne passe pas vraiment, il faut repartir dans cet état. Le sac m’entaille déjà le bas du dos. Mais dans la tête, je suis bien, et c’est bien le plus important. La rando se poursuit dans une belle forêt. Aux points de vue, on ne voit rien, le guide se permet de m’informer que nous arrivons trop tard. La faute à qui?! Enfin le sommet !

Statue de José Marti, héro national, fondateur du Parti Révolutionnaire Cubain et inspirateur de la Révolution, montée à pied par une « fan » :
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Mais on est loin d’être arrivé ! Le chemin descend, puis remonte, redescend et remonte, encore et encore. Les petits sommets s’enchainent, ça n’en finit pas. Au refuge, je suis fière de moi, j’ai battu tous mes records : de rapidité de montée, de dénivelé positif, de poids du sac, de prix de rando.
Au refuge vivent cuisiniers et guides, il ne s’agit pas vraiment du petit refuge de montagne que l’on connait par chez nous.
J’y rencontre l’homme le moins aimable du monde, et son gentil guide souriant avec qui je passe une très bonne soirée, à échanger sur Cuba et sur la France. Un homme intéressant qui m’apprend beaucoup de choses et qui est intéressé par les différences avec la France. Un bel échange franc qui apporte des briques à la compréhension de ce pays complexe.
[Je me demande ce que fait là cet abominable australien, qui refuse de me dire bonjour malgré mes saluts répétés. Lorsque son guide lui fait remarquer que je lui parle, il lui répond sans me regarder que ça ne l’intéresse pas.]

Le lendemain, les descentes et remontées casse-pattes se poursuivent. A l’arrivée, il faut soit payer un taxi hors de prix, soit marcher, encore… J’ai de la chance d’avoir l’option 3, me faire descendre en voiture au prix « local », idem ds le bled suivant où je suis sensée payer encore plus cher un nouveau taxi. Je négocie le passage dans une voiture de passage. Je suis chanceuse. Puis des camions-bus, et enfin l’arrivée à Bayamo ! Je ne suis pas allée visiter le QG du Ché, j’ai décidé de zapper les 3 cabanes dans la forêt.

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